Commentaires sur le livre «TOUT PEUT CHANGER » de Naomi Klein
Madame Naomi Klein est une activiste et écrit comme telle. Rien de péjoratif dans le terme « activiste » puisque nous sommes tous, d’une façon ou d’une autre des « activistes ». Le problème avec le livre de Mme. Klein est qu’elle fait preuve, dès le début de son fort long ouvrage, d’une approche tellement biaisée que son discours perd toute crédibilité.
Ainsi, dès la page 12 de son livre (en fait la 2ème page du texte) elle met en cause, suite à un incident où un avion est empêché de s’envoler parce que ses roues se sont engluées dans l’asphalte, la compagnie aérienne US Airways en l’accusant de » faire un « usage massif de combustibles fossiles auxquels, tant par obligation que par nécessité, (elle) persiste à recourir malgré de fâcheux inconvénients tels que la liquéfaction du tarmac » et ceci « n'a empêché ni les passagers … de remonter à bord et de poursuivre leur voyage, ni les grands medias qui couvraient l'incident de s'abstenir de faire mention de la crise du climat ». Mas ceci n’a pas empêché non plus Mme Klein de prendre un avion de Toronto à Paris (sauf si elle a estimé qu’il était préférable de traverser l’Atlantique à la nage ou en bateau à rames) pour venir présenter son ouvrage à Paris le 30 et 31 mars 2015. J’imagine qu’elle est pleinement consciente qu’en faisant ce voyage aller-retour elle allait contribuer à sa propre empreinte carbone (CO2) pour un total de 2,52 tonnes ce qui correspondait en 2010 à plus de la moitié de l’émission moyenne d’un habitant de la planète (4,87 tonnes), un tout petit peu moins que la consommation annuelle d’un Jamaïquain (2,7 t) et presque celle de sept Afghans (0,3 t).
Mme Klein est pourtant consciente de sa contribution (page 40) au « fait de vivre dans un monde qui se meurt, un monde à la mort duquel nous sommes nombreux à contribuer, que ce soit en préparant du thé, en allant faire ses courses en voiture ou bien, je l'admets, en faisant des enfants » en dépit de savoir la « planète moribonde, que chaque jour qui passe rapproche un peu plus de l'agonie ». Elle aurait pu ajouter en prenant l’avion, en publiant des livres à succès de 630 pages et 820g de poids et que vue la publicité qui lui est faite il sera tiré à des nombreux exemplaires. Soyons modestes et supposons qu’il soit tiré à 1 000 000 d’exemplaires ce qui nécessiterait 820 tonnes de papier. Or « autour de 160 kg de CO2 sont émis pendant la production de 200 kg de papier » soit 656 tonnes de CO2 pour la seule production du papier de son livre. Ce nombre correspond aux émissions annuelles moyennes en 2010 de 136 habitants de la planète, ou 47 Canadiens, ou 242 Jamaïquains, ou rien de moins que 2187 Afghans. Ceci sans tenir compte des autres dépenses d’énergie productrices de CO2 et nécessaires à la production des encres, l’impression proprement dite, le brochage, le paquetage, le convoyage, la publicité, la vente, le recyclage ou l’incinération des exemplaires déjà lus ou non vendus, etc. On ne peut pas dire que la peur d’une « planète moribonde » de Mme. Klein affecte significativement son comportement, qui est loin d’être véritablement vertueux.
Page 41 Mme. Klein nous annonce qu’il « est trop tard pour prévenir le dérèglement climatique … et (que), quoi que nous fassions, des catastrophes de plus en plus terribles surviendront » mais qu’il « n'est pas trop tard pour éviter le pire, et il …reste suffisamment de temps pour nous transformer nous-mêmes afin de nous découvrir solidaires quand se produiront ces désastres ». Quelle différence il y a-t-il entre les « catastrophes de plus en plus terribles » et les « désastres » qu’elle nous prédit ? Le rapport du GIEC (CHANGEMENTS CLIMATIQUES 2013, Les éléments scientifiques, Résumé à l’intention des décideurs [1]) ne mentionne le mot « catastrophes » qu’une seule fois sous la forme « le rapport spécial intitulé Gestion des risques de catastrophes et de phénomènes extrêmes pour les besoins de l’adaptation au changement climatique (SREX) représente un socle d’informations important sur l’évolution des extrêmes météorologiques et climatiques » et le mot « désastres » n’y figure pas ni au singulier ni au pluriel. Madame Klein doit avoir des informations beaucoup plus précises que celles des 97% des climatologues qu’elle révère (page 79) et il serait intéressant qu’elle les fournisse aux lecteurs de son ouvrage
Les prévisions de Mme Klein s’apparentent à celles qu’à la fin du XVIIIe siècle avançait Thomas-Robert Malthus qui annonçait que « si nous laissons la population se multiplier trop vite, nous mourrons misérablement, en proie à la misère et aux maladies contagieuses [2] ». Espérons que Mme Klein se trompe autant que Malthus.
On retrouve un autre exemple du manque de rigueur scientifique de Mme. Klein en page 74 où elle rappelle que la conférence de Toronto de 1988 recommandait « …que les États visent l'horizon de 2005 pour réduire leurs émissions de 20 % par rapport au niveau de 1988 » et qu’un scientifique avait observé que « Si nous choisissons de relever ce défi il semble que nous pourrions ralentir substantiellement le rythme du changement climatique » sans aucune autre justification. A la lumière de ce qui est connu aujourd’hui, vingt-sept ans plus tard, nous avons évalué l’impact de ce « défi » sur le ralentissement du changement climatique (voir Table 1). Entre 1988 et 2005 la population a augmenté de 27%, ce qui pouvait déjà être attendu en 1988 mais semble avoir été complètement ignoré. De ce fait l’émission de CO2 per capita, qui était de 4,28 t en 1988 serait devenue de 2,7 t en 2005, soit inférieure de 1,82 t à celle qui a effectivement eu lieu cette année-ci . En termes d’augmentation potentielle de température (voir Table 1 pour les détails de calcul) elle a dû être de 0.29 °C sans aucune intervention et aurait dû être de 0,23 °C si l’on avait mis en place le « défi ». La conséquence étant de revenir en 2005 aux conditions d’existence de 1955 -50 ans en arrière - pour 0,06 °C de moins dans un écart de température de 0,3 °C ce qui n’aurait pu en aucune façon « ralentir substantiellement le rythme du changement climatique ». Cette analyse du passé est absolument indiscutable puisqu’elle ne tient compte que des chiffres de population et émission de CO2 ayant eu lieu effectivement.
Mme Klein touche de près le problème majeur du changement du climat quand elle écrit «un monde à la mort duquel nous sommes nombreux à contribuer … en faisant des enfants ». Oui, c’est exactement comme cela qui se pose la question de la surpopulation. Pour être plus clair, entre 1988 et 2005 la population a augmenté de 27%, les émissions de CO2 de 34% (7% de plus que la population) et l’émission par capita de 5,53% seulement. Et c’est ça qui est important, c’est la population que entraine la croissance des émissions de CO2 et non pas, fort heureusement par ailleurs, l’augmentation individuelle de la consommation qui est l’effet moteur.
Mme. Klein persiste dans sa désinformation puisqu’elle écrit en page 76 « Pour le dire plus simplement: voilà plus de vingt ans que … nos émissions de GES ont augmenté de manière considérable » et ceci « … est en grande partie attribuable à l'idéologie radicale et hégémonique au nom de laquelle on a mis en place une économie mondiale unique, fondée sur les règles du fondamentalisme marchand, ces règles mêmes qui ont germe dans les groupes de réflexion de droite, lesquels sont aujourd'hui en première ligne du mouvement climatosceptique » Il est impossible de maintenir une affirmation de ce type puisque de 1955 à 2010 la population a augmenté de 151% (de 2,757 à 6,916 Mrd), les émissions globales de 350% (de 7,49 à 33,70 Gt ) et les émissions per capita de 80% (de 2.72 à 4,87 t), Table 2.
De la progression des émissions globales de CO2 56% (18.81 Gt) résultent de la croissance de la population avec une consommation per capita égale à celle d’un habitant de la planète en 1955 et 44 % (14,89 Gt) sont dus au « fondamentalisme marchand ». Si l’on fait le même calcul pour les derniers vingt ans, 1990-2010, en 2010 la population n’a augmenté que de 30% (de 5,279 à 6,916 Mrd), les émissions globales que de 49% (de 22,56 à 33,70 Gt) et les émissions per capita de 14% (de 4,27à 4,87 t). On constate que pour cette période plus courte, 20 ans au lieu de 55, le rapport entre la progression des émissions globales de CO2 due à la croissance de la population et au «fondamentalisme marchand » est la même, 56 et 44 % respectivement. Ceci n’exonère pas la responsabilité des marchands mais ils ne sont pas responsables en « grande partie » puisque leur « contribution » hors croissance de la population se situe en dessous de la moitié des émissions globales de CO2.
Revenons à l’empreinte carbone de Mme. Klein. En tant qu’habitante du Canada ses émissions de CO2 en 2010 ont été de quelque 15 t et chacun de ses enfants (si elle en a plusieurs) d’autant, sa contribution par l’intermédiaire de la production de papier destiné à la publication de son ouvrage est de grosso modo 656 t, et pour les voyages transatlantiques destinés à la promotion du dit ouvrage quelques 5t (une paille par rapport au reste). Au bas mot elle se retrouve avec quelques 700t au minimum à compenser et pour laquelle elle devrait, si l’on suit ses suggestions, payer une taxe (page 138) de 50$ par tonne de CO2, donc s’acquitter de 35 000 $ somme tout à fait raisonnable par rapport aux droits d’auteur qu’elle va toucher.
Passons sur le reste du livre qui n’apporte pas d’éléments de réflexion nouveaux et venons-en aux conclusions. En page 508 elle annonce que « … les chiffres ne mentent pas. Et ce qu'illustre notre bilan carbone actuel, c'est que nos émissions continuent d'augmenter : nous rejetons chaque année dans l'atmosphère plus de GES que l'année précédente, et le taux d'accroissement est toujours plus élevé d'une décennie à l'autre » Je suis d’accord que les chiffres ne mentent pas et j‘ai montré (voir Table 2) que le coût en émissions de CO2 des progrès de tout type et assez extraordinaires dont on bénéficie depuis plus de 55 ans est somme toute assez raisonnable puisque équivalent à moins de la moitié des émissions dues à la seule croissance de la population. Il est dont clair et irréfutable que le facteur dominant dans l’augmentation des émissions de CO2 est la croissance de la population ; les émissions supplémentaires associées à la modification du niveau de vie et à l’intrusion de plus en plus grande de l’économie marchande entre 1955 et 2010 n’intervient que pour 80% de celles assurant la survivance de l’espèce, figée dans notre calcul comme celles de l’année 1955.
En résumé, sans rentrer dans le catastrophisme qui préside la rédaction du livre de Mme. Klein, mon reproche essentiel est qu’elle tire des conclusions sans avoir, elle-même, analysé les données, nombreuses et disponibles pour tout un chacun, pour soutenir ou pas ses propres thèses. L’activisme de Mme. Klein est son fonds de commerce, ce qui n’est point une critique, mais prôner des comportements vertueux quand on fait partie active du système que l’on combat (en contribuant substantiellement aux émissions de CO2) est une attitude pour le moins discutable.
Daniel H. FRUMAN
Texte et Images dans l'ensemble du site © Daniel H. Fruman sauf si explicitement signalé.
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Notes et références
[1] GIEC, 2013: Résumé à l’intention des décideurs, Changements climatiques 2013: Les éléments scientifiques. Contribution du Groupe de travail I au cinquième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [sous la direction de Stocker, T.F., D. Qin, G.-K. Plattner, M. Tignor, S. K. Allen, J. Boschung,A. Nauels, Y. Xia, V. Bex et P.M. Midgley]. Cambridge University Press, Cambridge, Royaume-Uni et New York (État de New York), États-Unis d’Amérique.
[2] Thomas-Robert MALTHUS, ESSAI SUR LE PRINCIPE DE POPULATION, 1803, document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, accès http://classiques.uqac.ca/classiques/maltus_thomas_robert/essais_population/principe_de_population.pdf, p. 8.
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Date de dernière mise à jour : 05/07/2021