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LE GOULOT D'ÉTRANGLEMENT

Dans la très nombreuse littérature sur le changement climatique nous n’avons trouvé qu’un seul article datant de 1992 [1] se référant directement à l’impact de la croissance de la population sur le changement du climat. L'auteur [2] était en 1992 Vice-Président de la Division de Recherche de Politique Générale du « Population Council » de New York et à ce titre tout à fait compètent pour aborder ce sujet. Il exprime ainsi son opinion sur la question [3] : « A quelques exceptions près …  les évaluations scientifiques disponibles ne commentent que très brièvement l’importance de la croissance démographique. Aucun effort substantiel n'a été consacré à quantifier le rôle de la population ou à comparer son effet par rapport à la contribution des autres facteurs du réchauffement climatique » et il conclut [4] que « Bien que la croissance future de la population ne soit pas la cause la plus importante du réchauffement climatique, elle est un facteur essentiel dans l’émission des gaz à effet de serre, et les efforts pour ralentir la croissance de la population, tant dans le monde développée et qu’en développement, doit être un élément essentiel de toute politique cohérente de réduction du réchauffement climatique »

 Plus près de nous, en 2006, Michael H. Huesemann publie un article [5] dans lequel il conduit une analyse des différentes méthodes proposées pour réduire les émissions de CO2 et aborde celle de la limitation de la croissance de la population. Il rappelle qu’Edward O. Wilson [6] faisait remarquer en 2002 que « ceux qui sont nés en 1950 ont été les premiers à voir pendant leur vie la population humaine doubler (augmentation de 100%) » En fait, comme nous l’avons montré dans le chapitre L’explosion démographique (voir Table 1 et Figure 1) quelqu’un né en 1930 et décédé en 2010 (80 ans) aurait vécu dans un monde où la population est passée de 2,07 Mrd à 6,9 Mrd (soit une augmentation de 200% et triplement de la population !). Cette situation est absolument unique dans l’histoire de l’humanité et justifie que l’on parle d’une période « anthropocène » à cause des traces de sa présence laissée par l’homme après son passage (ses os et ses détritus). L’auteur poursuit [7] en indiquant qu’en dépit du fait que « la surpopulation est un problème sérieux et un facteur essentiel des causes de l’augmentation des émissions de CO2il est rarement considéré quand on cherche des solutions efficaces pour (lutter contre) le réchauffement climatique » En particulier le GIEC semble le considérer comme une variable indépendante plutôt que comme un facteur qui doit être contrôlé si une solution réaliste au problème du réchauffement climatique doit être trouvée.   

Le  travail intitulé « Le goulot d'étranglement » publié dans l’édition Internet de Scientific American par Edward O. Wilson [6], inventeur du terme « biodiversité » et professeur émérite à l’université de Harvard, est un plaidoyer extrêmement argumenté sur le danger de la croissance de la population. Il précise [8] qu’aujourd’hui « la plupart des économistes … reconnaissent très bien que le monde (le globe) a des limites et que la population humaine ne peut pas se permettre de croître encore » et ajoute [9] que « Le modèle de croissance démographique humaine au 20ème siècle était plus bactérien que « primate ». Quand l'Homo sapiens a dépassé le seuil de six milliards nous avions déjà dépassé peut-être bien de 100 fois la biomasse de n'importe quelle autre grande espèce animale qui ait jamais existé sur la Terre. Nous et les autres formes de vie (sur Terre) ne pouvons nous permettre d’autres 100 années comme ça » Ainsi [10], toute « croissance démographique au-dessus de zéro n’est pas supportable » ce qui est, toutes proportions gardées, une position néomalthusienne tout à fait respectable. Mais même si la croissance zéro est achevée il reste le « problème » de la partie de l’humanité (à peu près six septièmes) la plus pauvre qui souhaite approcher les conditions de vie de la plus riche. Ainsi [11] « si chaque habitant de la planète atteint le niveau actuel de consommation des États-Unis en utilisant la technologie disponible aujourd’hui on aurait besoin de quatre Terres » C’est le dilemme auquel on doit faire face : même si l’on atteint la croissance zéro pour la population on n’arrêtera pas la croissance globale des émissions de GES résultant de l’augmentation des émissions per capita (sauf si l’on diminue en parallèle celles des habitants des pays « riches »). Pourtant, comme l’a écrit [12] Michael H. Huesemann « Finalement, comparé aux solutions technologiques que sont souvent proposées, comme la séquestration du carbone et le développement de sources d’énergies non carbonées, le contrôle de la croissance de la population est une des méthodes la moins chère pour éviter les émissions futures de CO2 »

Ces préoccupations ne semblent pas rentrer dans les prévisions de l’ONU et du GIEC comme on peut le voir sur la Table B1 ou nous avons porté leurs scénarii de population. Ils sont dans tous les cas supérieurs à la population mondiale estimée en 2014, 7,16 Mrd, sauf pour l’estimation basse de l’ONU.

Table B1 : Estimations de la population en 2100 d’après les Nations Unies et le GIEC [13]
Table b1On est bien loin d’une croissance nulle de la population pour cinq des scénarii avec une croissance comprise entre 0,21 et 1.47 % pour le RCP4.5 du GIEC et la fertilité constante de l’ONU respectivement. Et, de toute façon, comment choisir entre ces différentes propositions dans une perspective de 85 ans ?

Ces prévisions (ou prédictions) ne sont ni meilleures ni pires que celle déduite directement d’une extrapolation linéaire de la courbe de population entre 1955 et 2010 et qui donne une projection de la population mondiale en 2100 autour de 14 milliards, intermédiaire entre l’estimation haute de l’ONU (15,8) et du GIEC (12,4).

La question est de savoir comment les décideurs qui se réuniront à Paris à la fin de cette année seront capables de choisir un des scenarii qui leur sont proposés et de s’engager à faire en sorte qu’en 2050 ou 2100 les objectifs qu’ils affichent aujourd’hui soient effectivement satisfaits ? 

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Notes et références
[1] Bongaarts (John), Population Growth and Global Warming, Population and Development Review, 18, N° 2, Juin 1992, p. 299-319.
[2] http://www.popcouncil.org/uploads/experts/BongaartsCV.pdf
[3]With a few notable exceptions …  available scientific assessments comment only briefly on the significance of population growth. No substantial effort has been devoted to quantifying the role of population or to comparing its effect with the contributions of other determinants of global warming »
[4] « Although future population growth is not the most important cause of global warming, it is a key determinant of greenhouse gas emissions, and efforts to slow population growth in both the developed and developing world should be an essential element of a comprehensive policy to reduce global warming »
[5] Huesemann (Michael H. ), Can advances in science and technology prevent global warming? In Mitigation and Adaptation Strategies for Global Change,  Springer, 2006, 11: 539–57 http://www.ghgonline.org/Huesemann-ClimateChangeMitigation.pdf, « Finally, compared to often proposed technological solutions such as carbon sequestration and the development of carbon-free energy sources, controlling population growth is one of the cheapest methods to avoid future CO2 emissions »
[6] http://www.zo.utexas.edu/courses/Thoc/Readings/WilsonBottleneck2002.pdf
[7] « Despite the fact that overpopulation is a serious problem and a key causative factor of the growth of CO2 emissions … it is rarely considered when searching for effective solutions to global warming »
[8] « Most economists today… recognize very well that the world has limits and that the human population cannot afford to grow much larger »
[9] « The pattern of human population growth in the 20th century was more bacterial than primate. When Homo sapiens passed the six-billion mark we had already exceeded by perhaps as much as 100 times the biomass of any large animal species that ever existed on the land. We and the rest of life cannot afford another 100 years like that »
[10] « anything above zero population growth cannot be sustained »
[11] « For every person in the world to reach present U.S. levels of consumption with existing technology would require four more planet Earths»
[12] « Finally, compared to often proposed technological solutions such as carbon sequestration and the development of carbon-free energy sources, controlling population growth is one of the cheapest methods to avoid future CO2 emissions »
[13] http://www.skepticalscience.com/docs/RCP_Guide.pdf, p. 18.

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Date de dernière mise à jour : 05/07/2021

8 000 000 000

Le 11 juillet dernier l’ONU[1] nous faisait connaitre que « La population mondiale devrait atteindre 8 milliards [huit mille millions] d'habitants le 15 novembre 2022 ». En 2015, quand je me suis engagé dans la construction de ce site, nous n’étions que 7,38 milliards, ce qui représente « grosso modo » une augmentation de quelque 620 millions en huit ans (2015 à 2022 comprises), soit une croissance de plus de (620/7) 89 millions/an. Entre ces deux dates il y a eu un accident - la Covisd-19 en 2020 et 2021. Il fut la cause d’une diminution par rapport à la moyenne - suivi, si l’on croit les annonces de l’ONU, par une spectaculaire augmentation, estimée[2],  au bas mot, à 123 millions en 2022 (Table 1).

Table 1 – Évolution de la population mondiale entre 2015 et 2022
Données d’après
https://population.un.org/wpp/Download/Standard/MostUsed/                                    

ANNÉE

POPULATION

AUGMENTATION

2015

7 383 240

 

2016

7 469 955

86 715

2017

7 556 993

87 038

2018

7 642 651

85 658

2019

7 724 928

82 277

2020

7 804 974

80 045

2021

7 876 932

71 958

2022

8 000 000*

123 068

 

MOYENNE

88 109

     *  Estimation

Entre ces deux dates  les émissions de CO2[3]sont passées (arrondies au digit supérieur) de 33 à 36,3[4] Gt. Un calcul très simple montre que, si l’on considère les erreurs intrinsèques à l’estimation de ces chiffres, rien n’a changé entre les discours emphatiques et prometteurs de la COP 21 en 2015 et aujourd’hui.

En effet, la Table 2 résume ces données et montre que la moyenne des émissions de CO2 par tête d’habitant de la planète reste sensiblement la même, en dépit de la diminution des activités et l’augmentation des décès dus à la COVID-19 et ses variantes de 2020 à 2022.

Table 2 – Population et émissions de CO2 en 2015 et 2022
Données d’après
https://www.iea.org/reports/global-energy-review-co2-emissions-in-2021-2

ANNÉE

POPULATION

ÉMISSIONS CO2

ÉMISSION CO2 /HABITANT

 

Md

Gt

t

2 015

7,38

33,00

4,50[5]

2 022

8,00*

36,30*

4,54

*  Estimation

Ceci veut dire aussi que les décès ne compensent pas les naissances, qui se poursuivent inexorablement, même si la fécondité a diminué globalement, passant de 3,2 à 2,4 enfants/femme[6] entre 1990 et 2020. Et qui plus est, ces nouveaux nés arrivent en apportant, probablement à leur corps défendant,  une contribution aux émissions de CO2 presque égale à la contribution moyenne de chacun des êtres humains vivants au moment de leur naissance.  Elle est par ailleurs supérieure à celle déclarée nécessaire (2t), au cours d’une émission récente sur Public Senat, pour la subsistance d’un bébé[7].  Cette donnée est cependant 30 fois inférieure à celle annoncée (58.6 t) par une étude suédoise[8] de 2017. Contentons-nous donc de la statistique globale de la Table 2 et admettons que les petits émettent autant que les grands !

Ces 620 millions (9% de la population totale de 2015) de petits et jeunes enfants, dont l’âge maximale est inférieur à 7 ans, ne devraient pas contribuer substantiellement à une quelconque augmentation de la richesse, puisqu’ils ne sont pas en âge de le faire. Or, la Table 3 montre qu’entre 2015 et 2022 la population a augmenté de 9%, le PIB mondial de plus de 30% et celui per capita (dont les 620 millions de petits de moins de sept ans) de 20% ! Et ceci en dépit des conséquences de la « guerre » contre la Covid-19, qui aurait dû se traduire par, a minima, une stagnation de la richesse mondiale et une diminution des émissions de CO2

Table 3 – Population et PIB en 2015 et 2022
Données d’après
https://donnees.banquemondiale.org/indicator/NY.GDP.MKTP.CD et https://thedocs.worldbank.org/en/doc/18ad707266f7740bced755498ae0307a-0350012022/related/Global-Economic-Prospects-June-2022-Chapter-1-Highlights-FR.pdf

ANNÉE

POPULATION

PIB MONDE

PIB/HABITANT

 

 

Md

1000*Md $

$

 

2 015

7,34

75,23

10 249,32

 

2 022

8

98,89

12 360,86

 
 

9

31,4

20,6

AUGMENTATION %

 

Quoi conclure de ces chiffres ?

Si l’on est optimiste on aurait tendance à dire qu’en dépit du « cataclysme[9] » de la Covid 19 tous les indicateurs de croissance - population, richesse (PIB), émissions[10] de CO2, espérance de vie à la naissance, etc. – sont au vert et qu’ils risquent de continuer ainsi et se stabiliser, avec un peu de chance, quand « la fécondité étant en baisse » « Le nombre de personnes habitant sur la planète devrait … avoisiner les 11 milliards à la fin du siècle[11]»

Si l’on est pessimiste on pourrait espérer un vrai « cataclysme[12] », qui dépasserait en magnitude et gravité celui qui nous est prédit depuis plus de trente ans par les 26 COPs successives.

La guerre en Ukraine, dont les prémices - en termes stratégiques, économiques (micro et macro), financiers, politiques, sociétales, etc. – se font sentir avec une acuité peu courante pourrait être le déclencheur (détonateur ?) d’un nouveau paradigme de l’humanité. Et seulement de l’humanité puisque notre planète est, et restera encore pour des milliards d’années, totalement indifférent à notre existence, comme elle l’a été au cours des milliards d’années qui ont précédé notre présence pensante sur la mince croute terrestre.  

                                                                                                                             Daniel H. Fruman
                                                                                                                             14/08/2022

[2] La population en 2022 ne tient pas compte de l’augmentation probable entre le 15/11 et le 31/12/2022.

[4] On a pris la valeur des émissions en 2021puisque l’on n’a pas trouvé encore des estimations pour 2022. On peut cependant prévoir qu’elles seront beaucoup plus élevées. 

[5] En 2019 les émissions per capita en France étaient identiques à la moyenne monde - 4,469 t - suivant les données de la Banque Mondiale https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/EN.ATM.CO2E.PC?locations=FR

[5] Émission Sens Public sur Public Senat du 21/07/2022 22:00. « Un bébé 2t/an »

[7] Émission Sens Public sur Public Senat du 21/07/2022 22:00. « Un bébé 2t/an »

[9] « Le cataclysme du Covid-19 doit servir de catalyseur pour redéfinir notre politique du grand âge » (lemonde.fr). Bouleversement causé par un tremblement de terre, par un cyclone et par extension Désastre, bouleversement complet dans la situation d'un État, d'un groupe, d'une personne ; catastrophe.